vendredi 18 octobre 2013

L'ACCOMPAGNEMENT PROFESSIONNEL DU CONJOINT EXPATRIE NON SALARIE

Cet article a pour objectif de tracer les grandes lignes de ce qui motive un travail d’accompagnement professionnel des conjoints expatriés non-salariés.

J'ai choisi de préciser mon travail auprès des conjoints expatriés non-salariés, plutôt que des problèmatiques de l'expatrié qui travaille, ou de celle de ses enfants, qui sont des problèmatiques interdépendantes au sein de la famille.
La population des conjoints expatriés non-salariés est en très grande majorité féminine. En moyenne, ces femmes ont avant de se lancer dans l’aventure de l’expatriation, une qualification professionnelle égale ou supérieure à quatre années d’études post-bac et un acquis de quelques années d’activité professionnelle. C’est une  population en mutation qui suit, avec retard, l’évolution de la société du pays d’origine.

Pour la France, nous voyons augmenter le nombre des hommes qui suivent leur femme expatriée par leur travail, des familles monoparentales, des couples homosexuels. Nous sommes à un tournant sociétal, et les entreprises qui expatrient leurs salariés gagneraient à prendre en compte différemment ces populations.

Ma première approche de ces femmes expatriées s’est faite il y a une quinzaine d’années, étonnée par leur agressivité, et leur attitude de critique systématique de la société d’accueil.  Des femmes qui semblaient avoir dans leur vie bien plus que ce que d’autres pourraient rêver : une famille, la santé, un travail, une protection sociale, une aisance financière, des voyages de par le monde. 

Mais d’où venait donc cette insatisfaction chronique ?
De l’expatriation découlent plusieurs aspects, qui se développent  selon l’histoire de vie de chacun. L’expatriation ne crée rien, mais fait émerger ce qui psychologiquement est prêt de l’être. Il y a l’excitation de la découverte, la nouveauté, les challenges surmontés qui font partie  de la nourriture positive dont toute vie a besoin.
Et la face cachée : la perte de repères et la perte de sens, l’écroulement du MOI bien vite remplacé par le masque social la PERSONA*. Les façades offertes tant à soi-même qu’aux autres peuvent varier : hyperactivité sociale ou encore isolement social. Les conséquences sont aussi multiples que ce que l’humain peut créer : la dépression,  l’alcool, l’agressivité, la mélancolie … avec impacts sur la personne, sur le conjoint et sur les enfants quand il y en a.

Mon postulat est que l’origine de ce malaise se développe en lien avec deux réalités ancrées dans toute histoire de migration, et implique donc aussi  le conjoint expatrié non salarié : le déni de la place sociale de l’individu, mais aussi de ce qui l’affecte: sans cette reconnaissance, comment  transformer notre vécu  en un état porteur et constructif ? Cela me parait  impossible.

Ce déni  est bien ancré et se retrouve dans tous les cercles qui définissent la personne : elle-même, son couple, sa famille nucléaire et élargie, l’employeur et la société. D’où la difficulté à atteindre cette population et à initier avec elle un travail de restauration.

Chacun doit assumer seul:
- le différentiel qui résulte de la confrontation entre attentes et réalité. Et pour comprendre les difficultés d’une personne, on doit considérer tant les paramètres individuels familiaux et  culturels de la société d’origine que ceux  de la société d’accueil ainsi que les attentes respectives de tous ces rôles. Chaque individu peut avoir une réactivité différente quand il  est confronté à la société du pays d’accueil.

Il y a chez la femme française un hiatus entre la réalité sociale qu’elle vit en expatriation, et les représentations de son rôle  : elle travaille et élève ses enfants  au même titre que son conjoint. Les femmes Françaises conçoivent difficilement une vie sans tenir les rênes d’une responsabilité professionnelle ; c’est de l’ordre de l’acquis.

Comment s’autoriser à exprimer son malaise quand on est sensé vivre une vie privilégiée ? Un travail en ces temps de crise économique, un statut administratif dont découlent des avantages sociaux, le bénéfice d’un salaire boosté de primes, des destinations lointaines qui prêtent aux rêves…
Comment percevoir ce malaise ? Par des échanges privés, l’écoute, le comportement de la personne, de son conjoint ou des enfants. Car à la fois chacun et la cellule familiale sont touchés.
Quel est le malaise ? Quel est le besoin associé ? Le pendant du déni  ambiant: la reconnaissance.
Il ne s’exprime quasiment jamais par le verbe, ou bien sous le sceau de la confidence autorisée par la prise en charge professionnelle. La parole doit être protégée, la population ressemble à celle d’un petit village au sein duquel beaucoup se sait.

Alors le cœur se dénoue et les sentiments s’expriment enfin.
Qu’est-ce que je construis pour moi-même ? Comment puis-je développer et maintenir une activité reconnue qui soit uniquement mienne ?

La phase initiale du travail est  de retrouver une confiance en soi perdue, liée au déni de la place sociale .Comment travailler cet aspect majeur en termes d’accompagnement professionnel ?

Par un retour aux fondamentaux :
  • Un travail sur les valeurs individuelles : qu’est ce qui me fait me tenir debout  ? Qu’est-ce qui fait que ma vie prend un sens pour moi, et non uniquement à travers mon conjoint, mes parents, mes amis, mes enfants…
  • Par une mise en parallèle de ce j'ai fait de ma vie  avec ce dont j’ai  rêvé  en terme de vie idéale.
  •  Un travail d'élaboration pour faire émerger les éléments de la personnalité vécus comme étant porteurs (je suis fière de..) et ceux vécus comme étant handicapants (je suis mauvaise en …) Comment se les réapproprier, en être fière et les utiliser de façon volontaire et constructive? C’est le prémisse au retour à un état d’amour de soi  qui entraîne petit à petit  l’expression et donc le travail sur certaines difficultés récurrentes.

Lorsque la phase de reconnaissance de soi-même est enclenchée, l’agressivité  envers soi ou envers autrui, en général  le conjoint,diminue, et un travail peut s’élaborer non pas « contre » mais « avec » soi-même et avec l’autre.

Je travaille systématiquement avec mes clients ces trois points que je considère majeurs, en groupe ou individuellement.

Une des particularités de Rio est justement cette notion de différentiel entre les attentes et la réalité. Rio s’affiche comme une ville paradisiaque avec son lot de représentations : le climat, la samba, le carnaval, les plages, les corps superbes … comment se permettre de se plaindre aux siens, qu’ils soient proches ou éloignés?

Le travail d’accompagnement est là pour permettre à la personne de renouer avec  elle-même  et ses vraies émotions, se confronter aux phases de deuil inévitables et parvenir à poser des choix. En un mot, retrouver sa liberté !
Ce travail n’implique pas nécessairement un accompagnement lourd ni long pour conduire à une ré-appropriation d’un projet de vie personnel et cohérent.

*Personne en tant qu’acteur de sa propre vie, jouant un rôle social et toujours, peu ou prou, en représentation. 



Pia Granjon Lecerf travaille à partir de ses qualifications professionnelles:  formation d’assistant de service social (IFSY) ; maîtrise d’Anthropologie sociale (Sorbonne), Coach de vie (Newcastle), PNL, Reiki, EFT ; et aussi son parcours personnel : enfant de parents expatriés , devenue conjointe et parent expatrié de trois enfants.
www.piacoach.com


Propos recueillis au Brésil par RECURSIMO Consultoria- Spécialiste de l’Interculturel
www.recursimo.com

mardi 8 octobre 2013

BRESIL/ LES RACINES DE LA CORRUPTION: TEL PERE, TELS FILS


Lorsque l’on adopte la manière de penser des psychosocionomes (1), la culture d’un pays cesse d’être uniquement un assemblage de caractéristiques telles que nous les livrent les codes sociaux, les rites et les symboles, les valeurs d’une société.

Les psychosocionomes partent du constat qu’une société s’est formée avec la naissance d’un pays, qu’elle est née de ses pères fondateurs, qu’elle a traversé des événements marquants, engendré et aimé ses propres héros, tout comme aurait pu le faire un individu.


Ces experts approchent une nation comme ils le feraient d’une personne, et la notion de culture redevient vivante et dynamique: une société passe par des étapes de développement… elle quitte l’enfance, traverse une quête d’identité comme nous le faisons à l’adolescence, parvient quelquefois à maturité et aborde une période de déclin.

Les psychosocionomes ont également supposé qu’une société avait, comme une personne, un inconscient. Et là les choses deviennent encore plus intéressantes.

Nous savons depuis Freud et Eric Berne (2), avec la notion de scénario de vie, que le propre de l´inconscient est d’impressionner la vie de chacun à son insu... car l’inconscient ne se laisse pas approcher ni déchiffrer facilement. Il se manifeste à travers les lapsus, les actes manqués et les rêves... rien de simple, d’autant plus qu’il est bourré d’énergie!

L’inconscient de l’enfant a donc été imprégné par ses parents et son vécu d’enfance au sein de sa famille. Si l’on poursuit l’analogie, l’inconscient d’une société a été imprégné par l’esprit de ses pères fondateurs et par la traversée de ses grands moments historiques. Comme une personne, cette société a éprouvé des sentiments et des émotions, et a adopté un certain type de comportements inconsciemment nés de ce ressenti. 

Une autre caractéristique de cet inconscient s’appelle la compulsion de répétition.

En d’autres termes, notre inconscient va nous pousser à reproduire et remettre en scène des situations difficiles de notre enfance, dans l’espoir insensé de les résoudre en étant adulte.


Nous pouvons donc nous poser la question:

Qu’est-ce qu’une société répète inconsciemment, venant d’un passé qui remonte á ses pères fondateurs ?

Chez Recursimo, nous réfléchissons sur les récents événements au Brésil, où le peuple ne cesse de manifester depuis cinq mois.

La pression de la rue a réussi à empêcher la hausse du prix des billets de bus.

Le peuple continue d’exiger: Santé, Éducation, Arrêt de la corruption.


Vu l’importance des détournements d’argent public, on peut penser qu’il suffirait d’obtenir une diminution de 80 % de la corruption pour avoir les professeurs, les écoles et les services de santé adaptés aux besoins du pays.

Nous ne pouvons que constater que le pillage systématique du pays par ses élites corrompues, et ceci dans des proportions inconcevables, est une répétition de l’histoire qui remonte aux fondements même du Brésil.

Joao VI (3), le premier roi du Brésil a récupéré le Trésor d'État portugais pour le sauver des mains de Napoléon aux portes du pays, et installer l’empire Portugais à Rio. En arrivant, il a exproprié nombre de cariocas pour loger, du jour au lendemain, ses douze mille courtisans. Il a ensuite levé les impôts correspondants à leurs besoins et aux siens.

 Et ceci durant treize ans... sans cesser d’être aimé par le peuple.

Avant de retourner au Portugal, il a gratté jusqu’au dernier sou les coffres de la Banco do Brasil

-“ la royauté qui venait de vivre de la corruption a litteralement fait un vol à l’arraché du trésor public” (4)

-        les fonds attribués pour le maintien de divers secteurs de l’industrie et pour  les  travaux d’utilité publique ont disparu avec cette soudaine saignée et beaucoup de choses initiées avec l’arrivée de la cour et dont on espèrait un  grand bénéfice ont été stoppées.” (5)

“cela correspondait à une banqueroute, bien que non déclarée....” (6)

-          « En pratique, le fait de voler les ressources du Trésor a eu des conséquences dramatiques sur l’économie brésilienne” (7)


Laissant le pays et son fils, le futur empereur Pedro I, dans d’insurmontables difficultés financières qui ont perduré plusieurs années, sources d’un endettement endémique.

Rien de cela n’empêchait l’amour du fils pour son père.

Obéissance d’un jeune roi, résignation face à l’autorité ou acceptation du fait du prince?

Pour Joao Vl le schéma était très nettement “Ce qui appartient à l'État m’appartient”. Tout comme Louis XIV avait déclaré « l'État, c’est moi! »

Depuis lors, la plupart des gouvernants ont participé au pillage des caisses de l'État comme si il s'agissait de leur bien propre.

Nous savons que la corruption existe dans tous les pays du monde. C’est vrai.

Mais tous les peuples ne la considèrent pas comme un mal nécessaire et ne disent pas :

 si ce n’est pas eux, ce seront d’autres, autant les maintenir en place, ils se sont déjà servis...”


Comme si il y avait une limite au pillage...

Tous les peuples n’ont pas cette incroyable tolérance vis-à-vis des actes de corruption... comme si la loi du Père ne pouvait être vraiment remise en cause.


Au Brésil, les derniers événements portent les signes de la rébellion propres á l’adolescence. Il pourrait ainsi poursuivre sa croissance en dépassant les schémas calamiteux de son histoire.

Il lui faudra toute l'énergie de cette adolescence pour bousculer les organisations criminelles toute puissantes qui participent á faire perdre la crédibilité des États, tout particulièrement en Amérique Latine: Brésil, Colombie, Pérou, Bolivie.

Les Pères pervers ne sont jamais faciles á déboulonner. La Syrie en fait la douloureuse expérience au prix de la vie de son peuple.


« La corruption tue la démocratie puisqu’elle met en cause le fondement

même de la République: l’égalité de traitement, le désintéressement du

Service Public, la recherche de l’intérêt général » (Michel Sapin)8


Françoise DONANT,
Docteur en Économie, Directrice de Recursimo
www.recursimo.com
Photos : Heleno Costa






 1. les psychosocionomes appliquent la psychologie et la sociologie aux entreprises et aux pays, considerant que ces entités pensent, ressentent et se comportent comme des individus.
http :www://psychosionomie.com
2. Eric Berne, fondateur de l’analyse transactionnelle, auteur du livre “Que dites vous après avoir dit Bonjour?”
3. Para o historiador Oliveira Lima, Joao a été “o verdadeiro fundador da nacionalidade brasileira” porque ele assegurou o território e “permitiu a uma classe dirigente de se responsabilizar pela construção do novo pais”
4. Historiador Manuel de Oliveira Lima
5.  Maria Graham
6.Historiador Pereira da Silva
7.Laurentino Gomes “1808”
8.Ministre du Travail, de l'Emploi et du Dialogue social depuis mai 2012

mardi 1 octobre 2013

RECIT D’UNE ENTREPRENEUSE EXPATRIEE AU BRESIL: UNE LUNE DE MIEL CONTRASTEE…


Le pays où les théories du management servent de cantiques
Quand je suis arrivée au Brésil,  j’avais déjà une expérience de 20 ans en tant que manager de mon entreprise française et je disposais de nombreuses théories sur le sujet, des plus basiques aux plus sophistiquées.
Je ne doutais pas de la réussite de mon futur restaurant au Brésil, ce pays qui m'avait séduite lors d'un voyage quelques années auparavant. Mais, sitôt expatriée,  je fus assaillie d’une multitude d’états d’âme : je me suis vite sentie démunie avec tout mon bagage théorique. L’humain, le réel, l’interculturel faisaient charnellement irruption, sans ménagement.
Je savais que la manière trop directe de passer des consignes était plutôt défavorable à la relation et j’ai donc ajouté moult fleurs et arabesques, cela m’a de toute évidence permis d’éviter le pire.
J’avais appris que pour la cohésion d'équipe, quand on prend en main un service, il fallait d’abord écouter puis imprimer son style, ses souhaits et ses objectifs dans une grande réunion fédératrice.
Là, ce fut un splash énorme! Les employés de mon nouveau restaurant me regardaient littéralement ahuris et c’est peu de le dire. Ici, quand on fait une réunion, on incarne le pouvoir. Et le pouvoir ne pouvant que nuire, tout le monde s’écrase. Mutisme effréné. Consentement de tous, têtes baissées.

Dans la région de ce pays, les gens ont du mal à se mettre au travail, et on peut les comprendre.
Quelque part, qui rêverait de bosser au paradis? Le pays est riche de fruits, de soleil et d’une assistance aux plus pauvres, qui,  va sans dire, ont peu d’éducation et encore moins de qualification.
Mais, de temps en temps il faut bien recharger les batteries, et les gens travaillent deux ou trois mois d'affilée pour vivre ensuite sans travailler un temps équivalent, voire plus.
Dans ce contexte, j’ai réussi à recruter un crêpier : le Mozart de la crêpe. Rien de tel pour lui qu’une pile de commandes, toutes plus compliquées les unes que les autres. En un tour de main, jouant avec les crêpières comme d’une batterie de jazz, il était tout simplement sublime. L’œil vif et concentré, il faisait l’admiration inconditionnelle des clients.
Sauf que…et difficile à percevoir en recrutement, le scénario personnel est tapis dans l'ombre. Le lien se créait en pointillé: il ne venait plus travailler du jour au lendemain puis réapparaissait soudainement, ivre, drogué, et avait très mal à la tête. Des histoires personnelles éprouvantes qu'il rapportait avec lui au travail.
Surtout,  il se sentait rabaissé et dévalorisé quand je lui demandais de changer une lampe.  Je voyais un petit coté macho faire surface, impossible pour lui d'accepter de recevoir des ordres venant d'une femme, et peut être encore plus " d'une gringo". Être descendant d’un peuple esclavagiste laisserai t-il des traces indélébiles? Ces arrières arrières petits enfants  auraient ils une loyauté leur interdisant  de se soumettre ?
Bon an, mal an, il est resté 4 ans. J'aurai pu le licencier. Trop risqué, c’était le seul qualifié dans ce domaine et rares étaient ceux qui  voulaient  apprendre ou  travailler. Dans cette région du pays, plusieurs personnes acceptent volontairement des contrats de travail mal rédigés et des salaires de misère sachant qu’ainsi ils pourront contracter  un avocat qui fera un  procès à l’employeur, et qu’il gagnera, car les prud’hommes donnent systématiquement  raison aux salariés. L’avocat se paie sur une partie des indemnités reversées par l’employeur.
Un jour, j’ai dû me résoudre à le licencier.
Sans pouvoir le remplacer …alors je suis allée dans la montagne, là où les bus s’arrêtent faute de route, et j’ai avisé une jeune femme avec trois enfants. Je lui ai annoncé un salaire bien élevé,  lui ai dis que j’allais la former, elle a accepté car ses enfants grandissant, elle n’avait plus assez de ses trois pensions alimentaires, issues de trois pères différents,  pour subvenir aux besoins de tous. Elle s’est avérée une excellente serveuse avant de devenir une bonne crêpière et plus tard, après une formation, gérante du restaurant. La stratégie avait bien fonctionné.
 Jolie et drôle, les clients l’aimaient bien. Par la suite, elle s’est décidée à faire un régime draconien : fini  les crêpes au chocolat arrosées de miel. La première période d’abondance a duré 4 ans, et la seconde, dite d’austérité .... 3 mois !  Elle est redevenue mince comme un fil.

Dans cette région du  pays, les personnes ne savent pas dire non, donc elles disent oui.
Le climat social est de ce fait très agréable. Mais dire oui quand on pense non, ici veut simplement dire : ne pas faire ou oublier de faire. Imaginez: vous demandez à la responsable de payer  un gros fournisseur, elle dit oui mais ne le fait pas. D’où un embrogliamini inextricable avec le dit fournisseur. Pour comprendre qu’un employé ne va pas faire ce qu’on lui demande après avoir dit « oui, c’est formidable, je le fais tout de suite », rien de tel que l’expérience pour la perception de ces petits signes très sensibles comme l’expression  « pode deixar.... », signes  qui font penser que peut-être non, et surement, il ne le fera pas.
 Solution : avoir plusieurs roues de secours. Dans la grande ville d’à côté, mon voisin le restaurateur a embauché 150 personnes alors qu’il n’en a besoin que de 50. Il a 100 roues de secours….et ne sait pas lire la comptabilité. Après 3 mois d’une restauration  bon rapport qualité prix, il vient de fermer. Nous le regrettons encore.

Dans cette région du pays, on dirait que les personnes n’ont pas notre  notion du temps.
Les gens sont dans un éternel aujourd’hui: pas de passé ni de projection dans l’avenir, pas d’anticipation possible. Quand il manque quelque chose on va l’acheter, même si chacun  sait qu’il faut une semaine avant d’obtenir une commande. Il a fallu quatre ans pour que la responsable des achats intègre réellement ce délai. Quatre ans à répéter, quatre ans à souligner les conséquences en termes de surcroit de travail  et de manque à gagner y compris pour le personnel, payé en fixe et en pourcentage.
Payer en fonction des efforts fournis a été une aide sans pareil. Le nerf de la guerre, je veux dire de la compréhension, de l’expérience, de ce qui fait du sens, du réel car  immédiat avec un règlement à la semaine. Là j’ai compris que l’argent c’est comme le sang qui coule dans les veines,  il a un lien direct avec la vie, car ici il s’inscrit dans la survie.  

Quelle autre conclusion en matière de management ?
J’ai connu le pire : pas de main d’œuvre employable, j’ai donc été cherché les personnes obligées de travailler car ayant charge d’âmes. Aller chercher des gens pas qualifiés mais de bonne volonté,  s’est avérée une bonne solution. Elle a été reprise par d’autres. Mon personnel a fini par faire la convoitise des autres restaurants, il s’est alors posé la question de la fidélité.

Manager des hommes quand on est une femme dans un pays macho est très improbable : on dit que les leaders émergent de leur milieu d’affinité….j’ai survécu et j’ai changé moi-même mes lampes. 
Manager quand on ne peut pas licencier cela veut aussi dire créer du lien et faire en sorte que les gens aiment leur boulot, les conditions de travail, l’ambiance. Merci Sainsaulieu*, j’ai pu vérifier que mon personnel, peu qualifié,  venait aussi  bosser pour la qualité des relations au travail. J’étais on ne peut plus vigilante sur cet aspect, vu que l’étroitesse de la cuisine les obligeait à faire des pieds et des mains pour s’adapter au local, alors mieux valait bien s’entendre.
Manager quand on veut conserver une bonne ambiance coute un peu cher : chacun se raconte, fait des blagues, s’occupe de la famille de l’autre, imagine ses problèmes, s’emploie à le conseiller, et bavarde à n’en plus finir. Là j’ai compris qu’il pouvait ne pas y avoir de limite aux sujets de conversation. Un long fleuve qui recueille les innombrables petits ruisseaux en amont, qui s’enfle et s’apaise pour mieux repartir….vers un infini sans cesse renouvellé.  Un jour la cuisinière est revenue de vacances 15 jours avant : elle s’ennuyait de trop, sans nous.
J’ajouterai que lorsqu’il avait du monde, beaucoup de monde au restaurant, la queue dehors, plus un bruit, pas une parole, chacun connaissait  les besoins de l’autre, y répondait, terminait heureux et aveuglé de fatigue, fier d’avoir surmonté ensemble un moment difficile.
Je parle au passé, j’ai vendu, je crée une autre entreprise, et m'associe avec un brésilien, j'ai le gout du défi!... et surtout j'aime ce pays qui m'a appris, entre les lignes, cette subtilité du lien et de la relation à l'autre pas uniquement basée sur des notions de productivité.

Et pour conclure : le management interculturel c’est d’abord du travail  d’écoute, une énergie infinie pour ne pas projeter sa réalité sur celle de l’autre, de gestion émotionnelle car tout fait peur, scandalise, étonne, inquiète et interroge. Une sorte d’école de la remise en cause, de la modestie, et du courage.

* Renaud Sainsaulieu, Docteur d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines , psychologue et sociologue, "méthode pour une sociologie de l'entreprise" (1994)

Pascale H. Région de Rio de Janeiro.
Propos recueillis par Françoise Donant, pour RECURSIMO Consultoria.