Lorsque l’on adopte la manière de penser des
psychosocionomes (1), la culture d’un pays cesse d’être uniquement un assemblage de
caractéristiques telles que nous les livrent les codes sociaux, les rites et
les symboles, les valeurs d’une société.
Les psychosocionomes partent du constat qu’une société s’est
formée avec la naissance d’un pays, qu’elle est née de ses pères fondateurs,
qu’elle a traversé des événements marquants, engendré et aimé ses propres
héros, tout comme aurait pu le faire un individu.
Ces experts approchent une nation comme ils le feraient
d’une personne, et la notion de culture redevient vivante et dynamique: une
société passe par des étapes de développement… elle quitte l’enfance, traverse
une quête d’identité comme nous le faisons à l’adolescence, parvient
quelquefois à maturité et aborde une période de déclin.
Les psychosocionomes ont également supposé qu’une société
avait, comme une personne, un inconscient. Et là les choses deviennent encore
plus intéressantes.
Nous savons depuis Freud et Eric Berne (2), avec la notion de scénario de vie, que le propre
de l´inconscient est d’impressionner la vie de chacun à son insu... car
l’inconscient ne se laisse pas approcher ni déchiffrer facilement. Il se
manifeste à travers les lapsus, les actes manqués et les rêves... rien de
simple, d’autant plus qu’il est bourré d’énergie!
L’inconscient de l’enfant a donc été imprégné par ses
parents et son vécu d’enfance au sein de sa famille. Si l’on poursuit
l’analogie, l’inconscient d’une société a été imprégné par l’esprit de ses
pères fondateurs et par la traversée de ses grands moments historiques. Comme
une personne, cette société a éprouvé des sentiments et des émotions, et a
adopté un certain type de comportements inconsciemment nés de ce ressenti.
Une autre caractéristique de cet inconscient s’appelle la
compulsion de répétition.
En d’autres termes, notre inconscient va nous pousser à
reproduire et remettre en scène des situations difficiles de notre enfance,
dans l’espoir insensé de les résoudre en étant adulte.
Nous pouvons donc nous poser la question:
Qu’est-ce qu’une société répète inconsciemment, venant d’un passé qui
remonte á ses pères fondateurs ?
Chez Recursimo, nous réfléchissons sur les récents événements au
Brésil, où le peuple ne cesse de manifester depuis cinq mois.
La pression de la rue a réussi à empêcher la hausse du prix
des billets de bus.
Le peuple continue d’exiger: Santé, Éducation, Arrêt de la
corruption.
Vu l’importance des détournements d’argent public, on peut
penser qu’il suffirait d’obtenir une diminution de 80 % de la corruption pour
avoir les professeurs, les écoles et les services de santé adaptés aux besoins
du pays.
Nous ne pouvons que constater que le pillage systématique du
pays par ses élites corrompues, et ceci dans des proportions inconcevables, est
une répétition de l’histoire qui remonte aux fondements même du Brésil.
Joao VI (3), le premier roi du Brésil a récupéré le Trésor d'État portugais pour le sauver des mains de Napoléon aux
portes du pays, et installer l’empire Portugais à Rio. En arrivant, il a
exproprié nombre de cariocas pour loger, du jour au lendemain, ses douze mille
courtisans. Il a ensuite levé les impôts correspondants à leurs besoins et aux
siens.
Et ceci durant treize
ans... sans cesser d’être aimé par le peuple.
Avant de retourner au Portugal, il a gratté jusqu’au dernier
sou les coffres de la Banco do Brasil
-“ la royauté qui
venait de vivre de la corruption a litteralement fait un vol à l’arraché du
trésor public” (4)
-
“les fonds
attribués pour le maintien de divers secteurs de l’industrie et pour les travaux d’utilité publique ont disparu avec cette
soudaine saignée et beaucoup de choses initiées avec l’arrivée de la cour et
dont on espèrait un grand bénéfice ont
été stoppées.” (5)
“cela correspondait à
une banqueroute, bien que non déclarée....” (6)
-
« En
pratique, le fait de voler les ressources du Trésor a eu des conséquences
dramatiques sur l’économie brésilienne” (7)
Laissant le pays et son fils, le futur empereur Pedro I,
dans d’insurmontables difficultés financières qui ont perduré plusieurs années,
sources d’un endettement endémique.
Rien de cela n’empêchait l’amour du fils pour son père.
Obéissance d’un jeune roi, résignation face à l’autorité ou
acceptation du fait du prince?
Pour Joao Vl le schéma était très nettement “Ce qui
appartient à l'État m’appartient”. Tout comme Louis XIV avait déclaré
« l'État, c’est moi! »
Depuis lors, la plupart des gouvernants ont participé au
pillage des caisses de l'État comme si il s'agissait de leur bien propre.
Nous savons que la corruption existe dans tous les pays du
monde. C’est vrai.
Mais tous les peuples ne la considèrent pas comme un mal
nécessaire et ne disent pas :
“si ce n’est pas eux, ce seront d’autres, autant les maintenir en place,
ils se sont déjà servis...”
Comme si il y avait une limite au pillage...
Tous les peuples n’ont pas cette incroyable tolérance
vis-à-vis des actes de corruption... comme si la loi du Père ne pouvait être
vraiment remise en cause.
Au Brésil, les derniers événements portent les signes de la
rébellion propres á l’adolescence. Il pourrait ainsi poursuivre sa croissance
en dépassant les schémas calamiteux de son histoire.
Il lui faudra toute l'énergie de cette adolescence pour
bousculer les organisations criminelles toute puissantes qui participent á
faire perdre la crédibilité des États, tout particulièrement en Amérique
Latine: Brésil, Colombie, Pérou, Bolivie.
Les Pères pervers ne sont jamais faciles á déboulonner. La
Syrie en fait la douloureuse expérience au prix de la vie de son peuple.
« La corruption tue la démocratie puisqu’elle met en cause le fondement
même de la République: l’égalité de traitement, le désintéressement du
Service Public, la recherche de l’intérêt général » (Michel Sapin)8
Françoise DONANT,
Docteur en Économie, Directrice de Recursimowww.recursimo.com
1. les
psychosocionomes appliquent la psychologie et la sociologie aux entreprises et
aux pays, considerant que ces entités pensent, ressentent et se comportent
comme des individus.
http :www://psychosionomie.com
2. Eric Berne,
fondateur de l’analyse transactionnelle, auteur du livre “Que dites vous après
avoir dit Bonjour?”
3. Para o historiador Oliveira Lima,
Joao a été “o verdadeiro fundador da nacionalidade brasileira” porque ele
assegurou o território e “permitiu a uma classe dirigente de se responsabilizar
pela construção do novo pais”
4. Historiador Manuel de Oliveira Lima
6.Historiador Pereira da Silva
7.Laurentino Gomes “1808”
8.Ministre du Travail, de l'Emploi et du Dialogue social depuis mai 2012
Félicitations, vous avez parfaitement compris l'origine de la corruption au Brésil où la mafia n'existe pas, elle n'arriverait pas à s'implanter, le marché étant déjà occupé. La nouvelle génération de Brésiliens, grâce notamment aux réseaux sociaux, commence à se réveiller et à remettre en cause le dogme de "ele rouba, mas faz". Seulement ce n'est pas facile de déboulonner une classe politique corrompue aux 3 étages (fédéral, état, municipal) et dans la majorité des entreprises d'état. Allez vous parler par la suite de la stratégie des dirigeants pour maintenir cette situation? à savoir, donner du pain (Bolsa Familia), du cirque (overdose de novelas, et couverture très étendue des matchs de football, ...) et s'appuyer sur le caractère chaleureux et festif des Brésiliens.
RépondreSupprimermerci de votre commentaire qui rajoute à ce que je pense. en fiat cet article en appelle un autre: celui de la majorité silencieuse dont la responsabilité est grande. Et puis il y a les réseaux sociaux....qui lancent l'espoir!
SupprimerAnalyse claire et pleins d'intérêts. Pour compléter lire le travail de René Kaës dans son dernier livre "malêtre" qui étend l'analyse des processus à l'ensemble des pays.C’est parce que les frères s’organisent en pacte que la symbolisation de la fonction paternelle peut être internalisée. Si pas d’organisation en pacte alors c'est le malêtre. Donc on doit avoir recours à un dispositif méta pour pouvoir remettre en mouvement.
RépondreSupprimerMerci Catherine, je vais lire "Malêtre" et reviendrai vers vous pour poursuivre avec intérêt cette réflexion. René Kaës a participé de ma formation!
SupprimerTrès pertinente synthèse, bravo !
RépondreSupprimerElle rejoint quelque part cette façon par laquelle je tente d'expliquer... "L'inexplicable Brésil" ! Tant auprès de ses propres ressortissants que de "ses" étrangers, et qui consiste en ceci : L'Europe à 3000 ans d'histoire, alors que le Brésil et l'Amérique du sud d'ailleurs n'en ont que 500... Sur ce point, l’Europe serait donc comparable à un adulte de trente ans, pendant que le Brésil lui... le serait un "enfant" de cinq ans...!
Le raccourci manque naturellement de discernement mais prête à observation ;
...Pourquoi en effet vers la fin des sixties, de Gaulle à Rio remontant la passerelle de son avion cocardé aurait-il confié, bien à regrets : "Vous n'êtes pas un pays sérieux !" ?
...Qui peut-il voir dans la corruption autre chose qu’un enfantillage, alors qu’elle serait évidement très répréhensible si elle était le fait d'adultes... Reconnus responsables ?
...Comment un garnement qui économiquement parlant, n'a plus devant lui qu'une poignée de nations en prise avec leurs crises, peine t-il encore tant à s'assagir ?
...Que sa frontière avec la Guyane française, lui donne une position privilégiée entre la CE et le Mercosul qu'il demeurera seul à décider d’ouvrir sur le vieux continent ?
...Quand vaille que vaille l'heure de la mondialisation a déjà largement sonné ?
...Où si nos enfants ne nous le démontrait pas crescendo si bien, combien le futur des plus anciennes nations pourrait désormais se trouver entre les mains d’une si jeune, combien s'y retrouveraient-elles si personne ne cherchait à tuer personne !?
Xavier Lo Pinto
Xavier, vous ne pouvez imaginer combien vos questions sont inspirantes !
Supprimerj'ai parlé d'adolescence sur le plan social, je pense comme vous que la maturité psychique peut être plus petite encore tandis que l'Europe vieillit et se met à tourner un peu en rond. Toutes ces expériences devraient participer à la maturation des pays quand l'analyse et la conscience collective se situent au bon niveau de manière systémique : psychique, social, économique. Je pense à continuer cette réflexion et à vous la livrer quand...elle sera mure !